Société métallurgique de Normandie

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Société métallurgique de Normandie
Création 1917
Disparition 1993
Fondateurs August ThyssenVoir et modifier les données sur Wikidata
Siège social Mondeville
Drapeau de la France France
Actionnaires UsinorVoir et modifier les données sur Wikidata
Activité Métallurgie
Société mère Usinor-Sacilor
Plan du site de la SMN.

La Société métallurgique de Normandie (SMN) était une entreprise bas-normande lancée en 1917 et fermée en 1993, dont le siège social était à Mondeville, mais principalement située sur la commune de Colombelles, dans l'agglomération de Caen.

Au plus fort de son activité, elle employa jusqu'à 6 400 salariés, produisit 4 % de la production nationale d'acier et occupa le 67e rang des sociétés françaises en taille[1].

Origines[modifier | modifier le code]

Exploitées depuis l'époque gallo-romaine, les mines de fer de la haute vallée de l'Orne avaient permis une modeste activité métallurgique jusqu'à la Révolution française. Au début du XXe siècle, l'exploitation du gisement de minerai de fer de Soumont[2], à Potigny, relance l'activité métallurgique dans le Calvados[3].

À leur création en 1901, les mines appartiennent à Thyssen à 40 %[4]. En 1903, l'industriel allemand August Thyssen achète la majorité des actions de la Société minière et métallurgique du Calvados. Il souhaite utiliser le minerai de fer afin d'en approvisionner ses usines en Allemagne au moindre coût. Puis, en 1909, il achète des terrains à Colombelles pour y construire une usine sidérurgique. La position de la SMN, le long du canal de Caen à la mer facilitait l’exportation par voie maritime. Mais son projet fut très mal vu par la population car les relations étaient déjà tendues entre la France et l'Allemagne à la veille de la Grande Guerre. Thyssen choisit donc de s'associer avec un industriel français, la Société française de constructions mécaniques. Le , ils fondent la Société des hauts-fourneaux de Caen[3],[5].

À sa fondation, la part française est limitée à 25 %, à cause de la participation minimale exigée par le Kohlensyndikat pour pouvoir bénéficier des livraisons de houille. Mais l'État français, multipliant les obstacles administratifs, parvient à limiter la participation de Thyssen à 50 %. Cette participation est ensuite baissée encore à 40 %. Le , la société devient la Société des hauts-fourneaux et aciéries de Caen, et le capital est porté de 0,5 à 30 millions de francs. Les actions sont attribuées majoritairement à Thyssen et à la SFCM, pour 11 MFr chacun. Le conseil d'aministration, présidé par Louis Le Chatelier, comporte 6 administrateurs français et 3 allemands[5]. Enfin, le , une augmentation de capital de 30 MFr supplémentaires est votée[5].

La construction de l'usine commence au cours du second semestre 1912, mais des problèmes financiers apparaissent rapidement. La proposition de Schneider et Cie de finir la construction permet de les résoudre. En 1914, August Thyssen ne détient plus que 25 % des parts de la société. Le décret du de mise sous séquestre de tous les biens nationaux ennemis de la France ne perturbera en rien le fonctionnement, les français s'efforçant de limiter ses effets par peur des représailles allemandes[5],[note 1]. Le 31 octobre 1914, le président du tribunal de Caen annule les conventions intervenues entre le représentant de la société des hauts fourneaux et aciéries de Caen et Thyssen ; la part sociale appartenant à des sujets allemands est mise sous séquestre[6]. L'usine emploie 3 000 personnes. Lorsque la guerre éclate, elle est réquisitionnée et fabrique des obus[7].

Activité[modifier | modifier le code]

Entrée de l'usine dans les années 1930.
L'usine en 1944 avec une patrouille de surveillance de l'armée allemande.

Le , le ministre Albert Thomas allume symboliquement le premier haut fourneau du site[7], le plus grand du monde à cette époque. La société prend le nom de Société normande de métallurgie. Le deuxième est mis en service en 1918. En 1925, la SNM devient la SMN. L'usine est alors dotée de deux hauts fourneaux, trois convertisseurs Thomas, cinq fours Martin ; ainsi que 250 fours à coke. L'usine, employant 4 007 ouvriers, produit alors 205 514 tonnes de fonte[8]. En 1938, l'usine produit 250 000 tonnes d'acier et couvre 160 hectares sur une presqu'île entre le canal, l’Orne et un plateau situé sur la rive droite de l'Orne. Elle exporte dans toute l'Europe et en Afrique. Au début des années 1940, 4 000 ouvriers travaillent sur le site, venus principalement d’Europe de l'Est et du Sud[7] ; Colombelles a multiplié sa population par dix en dix ans. L'usine prend en charge la construction de cités ouvrières[7], dont la plus importante, le Plateau, à cheval sur Colombelles, Mondeville et Giberville. Elle ouvre, selon le modèle du paternalisme industriel[7], des écoles, un centre de formation d'apprentis, des crèches, une bibliothèque, des clubs sportifs pour les enfants (Michel Hidalgo commence le football dans le club de la SMN).

Mais la Seconde Guerre mondiale interrompt l'activité. Les autorités allemandes ordonnent peu à peu la reprise du travail mais celle-ci ne peut être que partielle à cause des difficultés d'approvisionnement en matières premières, en particulier le charbon. Ils produisent cependant des obus et emploient plus de 3 000 personnes mais cette production en fait une cible pour les bombardiers anglais. L'usine doit éteindre le dernier haut fourneau en 1942, les effectifs chutent à 900 employés. À partir de 1943, le STO est mis en place et absorbe de nombreux ouvriers. À la Libération, les bâtiments n'échappent pas aux bombardements qui détruisent en partie de nombreuses villes normandes, dont Caen et son agglomération, mais la reconstruction est rapide : en 1950, un des deux hauts fourneaux refonctionne, en 1952 la SMN retrouve sa pleine capacité de production avec ses deux hauts fourneaux, un troisième est construit et allumé en 1959. L'essor est important durant les Trente Glorieuses, 6 000 ouvriers sont employés[7], c'est le plus important site industriel de la région. La production atteint 1 000 000 de tonnes[7] en 1973 dont la moitié est exportée via le port de Caen.

Complexe ferroviaire[modifier | modifier le code]

En 1912, la déclaration d'utilité publique pour l'établissement d'un chemin de fer minier entre l'usine et les mines du sud de Caen, notamment celles de Saint-Germain-le-Vasson et Potigny, est signée ; la voie site propre à écartement standard longue de 29 km n'ouvre qu'en 1920[9]. L'usine disposait de sa propre gare de marchandise dont le poste de contrôle se situait à Colombelles. Une autre gare, dite de Clopée, assurait la liaison entre le chemin minier, le port privé de la SMN et le réseau ferré de l'État[10]. Le port de la SMN est également relié au chemin de fer minier de Caen à Soumont-Saint-Quentin[11].

L'important complexe ferroviaire se développe en même temps que l'usine. Au plus fort de l'activité de l'usine, ce réseau privé était composé de 132 kilomètres de voies ferrées gérées par trois postes d'aiguillage de type PRS. Utilisant 450 wagons, ce complexe permet le trafic interne de 5 000 000 tonnes annuelles[12].

On y employait de nombreuses petites locomotives à vapeur puis locotracteurs diesel. Ils possédaient également des anciennes G 10 prussiennes, T 14 prussiennes, 040 TA, 150 Y, 150 X, 141 TB et réceptionnent leurs premières locomotives de forte puissance en 1958, les 901 à 906[13]

D’autres locotracteurs à l’allure proche des Y 51100 mais construits par la SACM avec un moteur MGO V8 de 400 ch (SACM Type 12)[14].

Il existait même quelques trains de voyageurs destinés à acheminer le personnel. Ils étaient d’abord constitués d'autorails Decauville État puis de rames de voitures prussiennes ou de voitures modernisées ouest à deux essieux. Ce service prend fin en 1979[14].

Fermeture[modifier | modifier le code]

Usine de la SMN en fonctionnement.

Devenue propriété d'Unimétal du groupe Usinor-Sacilor, aujourd'hui ArcelorMittal, l’usine n'échappe pas à la crise qui touche le secteur de la métallurgie en Europe occidentale au milieu des années 1970. La SMN se spécialise dans la production de fil machine. Les licenciements sont nombreux. Le sort de l'usine est inévitable, la fermeture est décidée à la fin des années 1980. La dernière coulée a lieu le , malgré l'acharnement des employés pour maintenir l'activité. De nombreuses manifestations se déroulent dans le centre-ville de Caen, allant parfois jusqu'à l'affrontement avec la police. La direction de la SMN, le patronat local et la droite, ont affirmé dans la presse locale qu’il est « normal que les travailleurs de la SMN soient reclassés en perdant de l’argent, voire la moitié de leurs salaires[15] ». La ville de Colombelles est ruinée, une grande partie de la population était « métallo » et les taxes constituaient 65 % du budget de la commune.

Le site est longtemps resté à l'état de terrain vague après le démantèlement des bâtiments. Une partie est reconstruite à Handan en Chine dont l'acier bon marché avait participé au déclin de la SMN. En , les trois petits réfrigérants surplombant l'Orne sont démolis mais le plus grand, le « Chaudron », est laissé afin de témoigner de l'activité de ce qui fut la plus importante industrie de la région. À partir de , des sociétés agroalimentaires s'implantent peu à peu sur le site ainsi que des entreprises du secteur tertiaire, dont un campus technologique Philips Semiconductors (devenu NXP) qui ouvre en [1].

Reconversion du site[modifier | modifier le code]

L'ancienne tour réfrigérante.

L'ancien territoire de l'usine a été dépollué et a fait l'objet d'un traitement paysager conçu par Dominique Perrault entre 1996 et 2000. L'ancienne tour de refroidissement principale a été conservée comme un emblème important de ce passé ouvrier et mise en lumière la nuit. Deux zones d'activités ont été aménagées sur le site.

Sur 58 hectares le long de la route de Cabourg, la SEM Normandie Aménagement a créé une zone d'activités dédiée à l’agroalimentaire et baptisée Normandial. On y trouve, par exemple, la cuisine centrale des centres hospitaliers de Caen, la biscuiterie Jeannette ou l'entreprise Godfroy[16].

Tiers-lieu de la Grande Halle.

Plus à l'ouest, une zone d'activités à vocation de haute technologie a été ouverte sur 25 hectares. Ce campus technologique, baptisé Effiscience, regroupe des entreprises innovantes et de haute technologie (NXP Semiconductors notamment), des laboratoires de recherche et des entreprises de services en collaboration avec des centres de formation (ENSICAEN). Il est doté d'une pépinière d'entreprises de 3 000 m2. D'autres projets ont été envisagés autour de ce campus, comme un lycée international ou un centre d'art contemporain à dimension nationale voire européenne dans les vestiges de l'usine (grande halle et tour réfrigérante), en association avec le Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou[17]. Jugés trop ambitieux, ces projets ont été abandonnés et la réflexion s'est portée sur la création d'un tiers lieu autour de l'économie circulaire. Le chantier de restructuration de la Grande Halle a donc démarré en . Régulièrement présenté aux habitants qui souhaitaient suivre son évolution dans l'espace de médiation baptisé Cité des chantiers[18], il s'est achevé en et a été ouvert au public le [19]. Le projet a été présenté au Pavillon français à la XVIe Biennale de l'architecture de Venise[20].

Par ailleurs, plus à l'est, à proximité de l'ancienne cité ouvrière du Calvaire, un ensemble de logements a été construit par la communauté d'agglomération Caen la Mer (ZAC Jean-Jaurès). Sur 14 hectares, il regroupe des logements collectifs (40 % en intermédiaires) et des maisons individuelles. 34 % des habitations construites sont des logements sociaux. Des commerces et des services ont également vu le jour. La zone d'aménagement concerté a été créée en [21] et les premiers habitants ont pris possession de leur logement en 2012. La place Mendès-France, conçue en concertation avec la population de ce nouveau quartier, a été inaugurée le [22].

Enfin la reconversion du site passe par la création, au pied de l'ancienne tour réfrigérante, d'une ferme solaire urbaine et innovante, qui occupe 19,3 ha de l'ancien Grand Pré[23]. Elle est entrée en fonctionnement le [23]. Elle doit délivrer une énergie électrique d'environ 11,4 millions de kilowattheures par an, ce qui pourrait représenter l'équivalent de la consommation d'environ 4 500 foyers, hors chauffage[23].

En souvenir de la dernière coulée (cf. supra), l'odonyme « rue du 5-Novembre-1993 » a été donné en 2012 à une nouvelle voie de la zone réhabilitée, située dans l'axe de l'ancienne tour réfrigérante[24].

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Les propriétés françaises occupées par les allemands sont considérablement plus importantes que celles que les français peuvent confisquer. Ainsi, François II de Wendel chiffrant qu'« il y avait à peu près 1 milliard de biens allemands en France alors que les allemands détenaient 6 à 7 milliards de biens français », appelle à la plus extrême modération[5].

Références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Jean-Yves Meslé et Marc Pottier, SMN, Société métallurgique de Normandie, Mémoires et mutations d'un site industriel, Bayeux, OREPS Éditions, , 96 p. (ISBN 978-2-8151-0175-2), p. 7, 9.
  2. « Les mines de fer de Soumont en quelques dates », sur ouest-france.fr, Ouest-France, (consulté le ).
  3. a et b Alain Lemenorel, « Minerai de fer et sidérurgie en Basse-Normandie, dans la Mayenne et la Sarthe, de 1835 à 1914 », Annales de Normandie, 1982, vol. 32, no 32-1, p. 41.
  4. Françoise Berger, « Les relations entre les sidérurgies française et allemande », Revue d’Allemagne et des Pays de langue allemande, t. 39,‎ , p. 163-19 (lire en ligne).
  5. a b c d et e Jean Thomas Casarotto, La sidérurgie des Wendel entre Orne et Fensch 1704-1978, Fensch Vallée Éditions, (ISBN 978-2-916782-93-5), p. 354-355.
  6. « Les hauts-fourneaux », Journal de Caen,‎ 1er-2 novembre 1914 (lire en ligne)
  7. a b c d e f et g « Mémoire et Patrimoine SMN — Histoire(s) de la SMN et du Plateau » (consulté le ).
  8. Rapport de l'ingénieur des mines, 22 juin 1926 [lire en ligne].
  9. Alain de Dieuleveult, Calvados pour les petits trains, Paris, Les Éditions La Vie du rail, 1997 (ISBN 2902808747), p. 68-69.
  10. Georges Lanorville, « Le port de Caen et ses nouveaux aménagements » dans La Nature, Paris, Masson et Cie, , no 3056, p. 129–132.
  11. Auguste Pawlowski, « Les hauts fourneaux de Caen » dans Ibid., 16 février 1918, no 2316, p. 97–103.
  12. Gérard Blier, Nouvelle Géographie ferroviaire de la France, vol. 2 : L'organisation régionale du trafic, Paris, La Vie du Rail, [détail de l’édition], p. 328.
  13. « Enquête sur une Normandie méconnue », Loco-Revue, no 593,‎ , p. 54-55 (lire en ligne, consulté le ).
  14. a et b « Forums LR PRESSE • Voir le sujet - Photos Locotracteurs Industriels », sur forum.e-train.fr (consulté le ).
  15. L'Humanité, 10 novembre 1993.
  16. Normandie Aménagement.
  17. Campus Effiscience.
  18. Qui a ouvert ses portes en 2016 (voir bulletin Colombelles Nouvelles 29 de septembre 2016).
  19. Caen la mer Normandie, communauté urbaine, « Une deuxième vie pour l'ancien site de la SMN », Caen la mer Magazine, no 52,‎ , p. 14 à 19.
  20. Colombelles Nouvelles, no 33, juillet 2018 [lire en ligne (page consultée le 17 mars 2023)].
  21. Caen la Mer.
  22. Caen la Mer, dossier de presse du 6 juillet 2017.
  23. a b et c Aurélie Lemaître, « Colombelles — La centrale solaire est en service sur le site de l’ex-SMN », sur caen.maville.com, Ouest-France, (consulté le ).
  24. « Une rue du 5-Novembre-1993 en souvenir de la dernière coulée », Ouest-France, (consulté le ).

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Tristan Jeanne-Valès (photographies), Michel Onfray (texte), L'Usine à Feu / La SMN, Éditions du Moulin Vieux, 1993.
  • Alain Leménorel, La SMN, une forteresse ouvrière — 1910-1993, Cahiers du temps, 2005.
  • Jean Ferrette, Louis Fauvel, La Société Métallurgique de Normandie - Grandeur et déclin d'une communauté ouvrière, L'Harmatan, 2012.
  • Véronique Piantino, Patrice Monchy, Territoire(A)venir : mémoires urbaines de Colombelles, Cahiers du temps, 2012.
  • Jean-Yves Meslé, Marc Pottier, SMN, Société métallurgique de Normandie, Mémoires et mutations d'un site industriel, OREP Éditions, 2013.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]